mardi, avril 25, 2006

Au fil des jours...






Deux soeurs à la procession des Rameaux, à Calpi


Encore et toujours la boulangerie...
Complicité...





Le Chimborazo dans toute sa splendeur

samedi, avril 22, 2006

Redémarrage sur de nouvelles bases.

Il m'a fallu me retirer. Les réunions de communauté auxquelles je n'étais pas conviée, les après midis de solitude et de doutes, de remise en question ont été douloureux.
Mais ce matin, enfin, le coup de téléphone tant attendu: la communauté s'était réunie de nouveau face à l'arret de la production et avait opté pour une stratégie autre que le renvoi pur et simple des jeunes. Toujours pas de salaire, seulement une rémunération matérielle pour les boulangers, c'est confirmé. Mais la grande innovation du jour a été l'accepation de personnes fixes, donc de la notion de professionnalisme. Et voilà que sont rappelés les deux jeunes qui travaillaient vraiment bien, Marivelle et Marco, ainsi que deux adultes que j'avais aussi formés, bien que pendant une plus courte période, Carmen et Inés. La premiére, au fort caractère, saura promouvoir auprès des autres communautés la notion de solidarité indigène. L'autre est une travailleurs silencieuse et appliquée.
Quand aux jeunes, je suis tellement heureuse pour eux, qu'ils soient enfin réhabilités, rappelés officiellement, que leur savoir-faire soit reconnu !
Sans doute l'essentiel était-il pour la communauté de récupérer le projet et de se l'approprier. Ce ne fut pas une transition ni très douce ni très agréable, mais elle a eu lieu et j'ose espérer que les choses à présent vont pouvoir se stabiliser. A présent, les changements ont été avalisés par les membres de la communauté ! Et ce sans la moindre influence extérieure, puisque les décisions ont été prises pendant que Pierrick et moi étions sur la côte á une rencontre de volontaires de l'humanitaire...

Pas toujours facile d'aider sans assister, de guider sans désaisir, de sugggérer sans imposer... Mais quelle richesse que cette expérience !

dimanche, avril 16, 2006

Le rêve !

Semaine de réflexion avec les autres FranÇais travaillant sur des projets de développement durable et midro-entreprises en Equateur. Cela promet d'être passionnnant!
La rencontre a lieu à Playas : au bord de l'océan à 22 degrés, plage de sable fin....
Ce matin, dimanche, heure et demi de course à pieds (comme cela semble facile venant de 3 300 mètres d'altitude !) suivie de baignade avec les pélicans.
Toutes mes salutations ensoleillées à mes amis européens, en particulier aux petits danois !

vendredi, avril 14, 2006

Vers un compromis ?

Au moment où je pensais attendre l'objectif de fonctionnement de la boulangerie, la communauté remet en cause la notion de salaire. Une donnée manquante dans mon raisonnement d'occidentale....

Je suis allée à Chancahuan, je tenais à tâter l'ambiance et savoir ce qui c'était dit à la réunion de lundi soir. J'ai rencontré le frère du Président de communauté qui m'a dit, tout sourire, qu'une nouvelle solution avait été trouvée qui consisterait à mettre une femme fixe, responsable de la boulangerie et payée en nature, aidée chaque jour par un membre différent de la commmunauté. Instituer enquelque sorte une minga (travail communautaire d'intéret général)boulangerie. Cela évite d'avoir à payer un salaire.
J'ai essayé d'écouter, de ne plus trop argumenter, j'en ai bien assez dit et ils connaissent ma version des faits. Je voudrais juste savoir qu'ils vont réussir... car pour l'instant, c'est toujours fermé...
Mais après tout, si d'un côté la boulangerie tourne et que de l'autre j'ai formé 5 jeunes qui trouvent du travail, pourquoi pas... A moins qu'ils ne se fassent payer par les personnes qui doivent venir à la boulangerie parce que c'est leur tour mais n'ont pas le temps. C'est aussi une possibilité qui permettrait de tirer profit de leur expérience. En effet, une personne qui ne veut ou ne peut pas effectuer un travail communautaire a toujours la possibilité d' envoyer quelqu'un à sa place, dont le salaire est fixé à l'amiable.
La culture Quechua avec son légendaire sens de la communauté est décidément encore bien présente par ici !

mercredi, avril 12, 2006

Confessions

Depuis trois jours la boulangerie devrait fonctionner avec une équipe de deux femmes et deux jeunes. Mais les femmes ne viennent pas et la présence des jeunes n’est toujours pas vraiment acceptée par la communauté. Résultat, la boulangerie est fermée.

Le lâche du mou et soudain tout explose. Non que je fus indispensable, mais que je maintenais un éphémère équilibre que j’avais moi-même crée et qui reposait sur les jeunes. Des adolescents qui n’ont jamais été vraiment reconnus par la communauté en tant que boulangers.
Comme le dit Montaigne, « Enseigner, ce n’est pas remplir des vases, c’est allumer des feux » J’ai sans doute allumé des feux, mais de quel type sont-ils ? De ces flammes qui réchauffent les âmes et les corps ou de ces brasiers qui dévastent tout sur leur passage ?

En arrivant à Chancahuan, je suis redevenue enfant. Je m’émerveillais de tout avec enchantement, m’indignais parfois en me promettant de changer les choses. Je me retrouvai face à des interlocuteurs dont je ne comprenais pas les us et coutumes. Je ne connaissais que quelques bribes du langage des regards et des attitudes. Presque rien de l’importance des rapports de force et des rivalités de pouvoir. Je suis encore très jeune dans ce domaine, je commence tout juste à prononcer mes premiers mots. Les autres, je les balbutiais mais on ne hochait la tète que par politesse, sans manifestement approuver mon argumentation. Il m’a fallu apprendre à comprendre le langage de ces adultes, de ces Indiens qui jamais n’osent faire critique ouverte à un « blanc ». Adapter mon argumentaire à leur manière de penser.
J’ai fait du mieux que j’ai pu, mais je manquais d’expériences pratique et culturelle. Je ressens le goût amer d’avoir forgé mes armes dans les Tiers-monde : j’aurais pu apporter tellement plus en étant plus qualifiée…

Placée là par le « Padre », j’avais d’emblée un certain statut, une autorité. Mais en m’imposant comme tierce personne dans cette aventure communautaire, n’ais-je pas dessaisi la communauté du projet ? En poursuivant la formation alors qu’il n’y avait que des jeunes, n’ais-je pas été contre la culture qui ne reconnais pas les adolescents comme des personnes pleinement responsables ? Généré un mécontentement qui se manifestait pas une sorte de résistance passive, des clients qui ne venaient plus, ceux qui critiquaient le pain pour ne pas me critiquer personnellement ? Sans doute étais-ce leur manière de dire : « Nous, adultes, avec notre dignité et notre responsabilité, ne laisserons pas notre projet passer aux mains d’une étrangère. »

Au lieu d’accepter que ma présence n’était pas bien vue par tous, j’ai endossé patiemment le fardeau des critiques quant à la qualité du pain et me suis acharnée à les faire taire. Tâchant inlassablement d’améliorer les méthodes de travail des jeunes, les recettes. Mais je pense aujourd’hui que j’aurais dû plus insister sur les limites de ma fonction, mère trop possessive d’un petit qui n’était pas le mien. Face à l’ardeur des reproches, j’ai au contraire argumenté encore et encore, partant du principe que la parole était reine dans cette culture orale. Mais je crois que mon discours n’était pas vraiment entendu, puisqu’il était justement mien, et non celui d’un membre de la communauté. Ëtais-ce vraiment à moi de défendre le projet aux yeux d’une communauté qui le considérait comme sien. Mes les jeunes, qui n’avaient pas l’âge d’être écoutés puisqu’ils n’étaient pas majeurs, ne pouvaient endosser le rôle d’intermédiaire entre intérieur de la boulangerie et extérieur. Il fallait bien que communication il y ait…

Par moments, je serais presque tentée d’en vouloir à la communauté de n’avoir pas su tirer profit de ce qui lui a été donné. Mais je m’interdis ce raisonnement, c’est moi qui suis là pour aider, c’est à moi de m’adapter. De composer avec ces adultes mal armés pour conduire leur destin. De faire avec le Président de communauté qui noie son désarroi dans l’alcool, avec ces femmes qui critiquent après être venues acheter leur pain avec un grand sourire. Avec celles qui chaque jour lèvent la tête de leur champ, me demandent immuablement où je vais et pour quoi faire, et moi de faire cent fois la même réponse. Il était mon devoirs de reprendre cent fois l’explication de la rentabilité qui tarde à venir, en prenant soin de ne pas employer les termes d’ « économie d’échelle » ou de « coûts fixes ». Dire seulement que quel que soit le nombre de pains, il faut une heure pour que le grand four chauffe et que cela consommait un quart de bouteille de gaz.

Je laisse la communauté prendre les rennes, du moins jusqu’à ce qu’on me rappelle, peut-être pour un coup de main ponctuel. Je ne sais quel bilan faire de ma présence. L’expérience, pour ma part, fut indéniablement fascinante. Mais quel a été l’impact de ma présente sur la communauté ? J’ai parié sur la jeunesse persévérante et que comprenais mieux que les adultes. Partagé les espoirs de Marivelle qui rêvait qu’en travaillant à la boulangerie elle pourrait, l’an prochain, reprendre des études. J’ai écouté Marco, qui ne voit de futur qu’en l’armée, faute d’un intérêt délirant pour la chose militaire, elle lui apporterait du moins une situation stable. Myrian m’a un jour avoué qu’elle aimerait aller au collège mais que ses parents utilisaient son salaire pour acheter de nouveaux semis. Parents qui peinent à penser le futur tant le présent est une lutte de chaque instant pour la survie et la dignité.

J’aimerais avoir appris un métier à ces jeunes sans avoir marginalisé les adultes, dont je ne saisis toujours pas complètement la raison des non venues. Etais-ce humiliant de se soumettre à plus jeunes que soi ? Faut-il mettre en cause les rivalités de pouvoir et d’intérêt au sein de la communauté que jene comprends pas ?

Je pars à une semaine de réflexion sur la gestion des projets sur la côte : trouverai-je à mon retour Marco et Myrian en train de transmettre leur savoir-faire à deux femmes qui accepteraient de s’engager dans la voie de la boulangerie ? J’ose l’espérer…

lundi, avril 10, 2006

La fète annuelle de chancahuan


Myrian et Jesus, les deux plus jeunes apprentis, "A votre service..."
Indispensable à la cérémonie, le drapeau équatorien !


Le toit de la boulangerie transformé en poste d'observation très prisé



L'appel des taureaux !

Quel avenir pour les communautés Quechuas des Andes équatoriennes ?

Après sept mois parmi les Quechuas, à l'heure où le départ approche à grands pas, je me pose une question : que sera ce peuple dans 10 ans, dans 20 ans ? Existera-t-il encore une identité spécifique ? Un lien communautaire, c'est-à-dire unissant les membres d'un même village ? Sans jouer les visionnaires, je voudrais juste livrer quelques pistes de réflexion. ..

Le peuple des Indiens Quechua, estimé aujourd'hui à 10 millions de personnes, comporte une grande diversité. Bien que partageant une langue, des mythes, un rapport à la nature, les Quechuas d'Amazonie n'ont ni les mêmes rites ni le même mode de vie que ceux des hauts plateaux andins. Les locuteurs de Cuzco peinent à comprendre ceux d'Otavalo, au Nord de l'Equateur, et la communication se révèle souvent plus facile, au final, en espagnol.
Dans le cadre de ce petit exposé sur l'avenir de ce peuple, je m'appuierai sur ce que je connais, à savoir la sierra, partie montagneuse du centre de l'Equateur.

1) L'irruption de la ville à la campagne

Les jeunes ruraux portent des jeans mais se disent Quechuas. Ils ne parlentplus vraiment correctement la langue de leurs ancêtres mais la comprennent. Leur langage est un curieux mélange, une sorte d'hybride qui emploie la structure espagnole (absence de déclinaison, verbe accolé au sujet plutôt qu'en fin de phrase) et les mots de la langue vernaculaire. Plus que la langue,c'est toute l'identité traditionnelle qui peu à peu semble se déliter. D'un côté, le monde rural, ses traditions, son unité pluriséculaire. De l'autre, les mythes de la ville : l'indépendance, la consommation. Au quotidien, pas d'eau courante à la maison, mais la télévision : c'est ainsi dans de nombreux villages de la province du Chimborazo.
Est-il adéquat de parler de progrès pour caractériser les évolutions actuelles du « campo », de l'arrière pays ? Le niveau de santé s'améliore, bien que 68 % des Indiens soient encore malnutris ; l'éducation primaire voire secondaire se généralise peu àpeu. Les années 1990 ont vu l'émergence du mouvement politique indigène Pachakutik (littéralement, le « retour à la terre ») et la reconnaissance des Indiens comme citoyens à part entière. Il devient admis, même si c'est matériellement difficile, que les Quechuas aillent à l'université.
Mais l'accès à l'enseignement, à la télévision conduisent aussi à une prise de conscience de la pauvreté et à une volonté farouche de quitter ce qui soudain est perçu comme la misère. Le rêve d'une fuite, d'un ailleurs s'affirme. Peu de jeunes croient en un futur meilleur sur leurs propres terres, et le mythe de la ville et de l'étranger grignote peu à peu. Pour ceux qui ne peuvent l'atteindre, il reste le jean, les baskets d'imitation américaines, les troismots d'anglais fièrement prononcés au touriste qui par hasard passerait parlà.
Souvent, les jeunes finissent par décrocher un travail en ville, et la mutation s'avère plus complète encore : téléphone portable, blouson de sport, lecteur CD. Là, auprès de lui, la musique quechua...

Tel est le paradoxe de la jeunesse se revendiquant en ville tant qu'elle est à la campagne, et redécouvrant ses racines loin de celles-ci. A la première fête, les 20-25 ans sont de retour au village, enfilant le poncho et rejoignant le groupe de danse traditionnel. De même, certains rites restent incontournables, ainsi ceux liés à la mort : on veille le cercueil en mangeant, buvant et organisant des jeux autour du défunt.« Un dogme fondamental de la religion inca prétendait que les morts étaient fréquemment transformés en êtres surnaturels qui pouvaient influencer en bien ou en mal la destinée des vivants. Les parents décédés étaient donc l'objet d'un culte fervent ». Il semble bien que cela reste vrai encore aujourd'hui.
Peu à peu naissent deux perceptions différentes de la culture. Pour les femmes et enfants vivat au quotidien du travail des champs, il s'agit d'une manière d'être. Les fêtes et les naissances rythment la vie comme depuis toujours. pour les jeunes, les hommes travaillant en ville (peu de femmes abandonnent leurs terres), le retour à la communauté devient retour au source, un temps d'exception et non la règle.

2) La question de l'exode rural

Avec l'exode rural, encore mal mesuré mais dont il est aisé de constater les proportions qu'il prend à la vue des innonbrables quartiers qui se construisent, avec si peu, autour des villes, c'est une identité nouvelle qui s'affirme. Une génération née en ville et pour qui l'identité traditionnelle est en partie déconnectée de la nécessité. Les fètes n'ont plus le mème sens lorsqu'elles ont lieu entre personnes d'horizons différents. Si les individus s'avèrent capables de recréer en ville des liens communautaires très forts, chacun reste néanmoins fortement attaché à son origine. A son lieu de naissance. Combien ais-je été étonnée de constater la marginalisation d'une femme née dans une communauté située à dix minutes de son lieu de vie actuelle. Lorsqu'elle danse avec ceux de la communauté où elle vit, elle porte une bayeta, ce carré de tissus plié en deux sur les épaules, de couleur bleue. Toutes les autres femmes sont en rouge. Ne s'étant pas mariée avec quelqu'un de la communauté, n'ayant aucune autre raison qu'un choix personnel de vivre là, elle n'aura jamais complètement sa place. Elle sera parcontre bienvenue dans sa communauté de naissance, même si son départ ayant impliqué qu'elle ne prenne plus part aux réunions et travaux communautaires, elle a perdu ses droits de citoyenne.

L'exode rural implique donc la naissance d'identités à géométrie variable: d'un côté, il y a les attaches traditionnelles au village, à la famille; de l'autre, on assiste à la recréation d'une communauté de vie dans les faubourgs de la ville. Vie polarisée par quelques lieux stratégiques, comme la « Casa Ingigèna" à Riobamba, ce lieu d'accueil, de discussion et d'enseignement initiédans les années 1980 par Monseigneur Proaño pour éviter la perte de culture, de repères qui affecte trop souvent les migrants.

Dans un récent article, Le Monde annonçait la disparition de la langue quecha d'ici 90 ans. Or toute la tradition est orale. ..
En découvrant leur légitimité politique, en se découvrant aptes à vivre en ville, à imiter les métisses, les Indiens ont commencé à perdre leur identité propre, à se rapprocher du monde moderne. La génération actuelle amorce une transition, revient encore parfois aux sources, mais qu'en sera-t-il dans 50 ans ? Dans quelle mesure faut-il regretter ce bouleversement qui s'accompagne aussi d'une légère élévation du niveau de vie ?

jeudi, avril 06, 2006

La guerre des temps

Au commencement il y eut les sourires, l’accueil les bras chargés de présents, pommes de terre de la dernière récolte, cochons d’inde grillés à la sauce cacahuète et, persuadés que c’est le plus grand des honneurs, les bouteilles de soda nord-américain. Je découvre avec enthousiasme ces gens si chaleureux, visiblement très reconnaissants de l’aide que leur apporte la petite association à laquelle je me suis jointe. Je suis touchée de la capacité d’accueil dont font preuve les Indiens Quechuas qui me présent spontanément leurs danses ancestrales, leurs rites, leurs habitudes.
Dès les premiers jours, pour mieux se connaître, je donne un coup de main aux travaux collectifs. Ensemble, nous passons quelques journées à creuser des tranchées pour les canalisations, à tamiser la caillasse pour ne garder que ce qui servira pour le ciment. On s’observe, mi-amusés mi-déconcertés. Ils peinent à concevoir que l’on ne puisse pas se rendre en France en bus...
Les semaines passent, la construction de la boulangerie dont je m’occuperai n’avance que deux ou trois jours par semaine, je prends le temps de découvrir l’environnement, la région. Je découvre les liens qui unissent les membres des communautés, ces villages qui ne sont pas seulement un groupement d’habitats mais une association de personnes avec sa mémoire orale particulière, cherchant d’un commun accord un destin qui sera celui de tous.
Je cherche à comprendre comment il convient de s’y prendre pour aider sans imposer. Je me souviens d’une communauté où avaient été construites des latrines. La peinture en bleu et blanc tranchait avec les maisons de terre, discrètes au flanc de la colline. Faute d’avoir été raccordées à l’eau, elle ont été transformer en poulaillers. Comment éviter l’écueil de l’assistanat sans partir trop tôt....

Après le temps de l’observation vient celui de l’action, et je suis chargée de transformer les quatre murs qui s’élèvent devant moi en une boulangerie. Me voilà face à une vingtaine de femmes, superbement élégantes avec leurs chapeaux blancs et longues jupes noires traditionnelles, attendant que je leur donne la « recette miracle »… Dans mon espagnol encore largement hésitant, je préfère leur demander de faire des essais, de goûter, et peu à peu, la pâte prend forme. Quelle fierté lorsque finalement Leurs pains sortent du four !
Il s’agit ensuite de former ceux qui seront les boulangers de la communauté. Une femme et trois adolescents se présentent. Je sens que l’apprentissage sera long, aucun d’eux ne sachant bien lire (ce qui pourrait pourtant servir pour les recettes !) ni utiliser une balance et encore moins le grand four à gaz….
Au bout d’un mois, néanmoins, les pains sont corrects, les acheteurs nombreux. Mais les difficultés ne tardent pas à survenir : attirés par le mythe de la ville et les salaires plus élevés, deux jeunes quittent l’équipe, il faut reprendre les bases avec d’autres, la qualité tarde à vraiment s’améliorer. Viennent les premières critiques, « Le pain n’est pas cuit » « Le pain est trop dur » « Ce n’est pas rentable »… J’explique, qu’il faudra du temps, que les moyens manquent, que par exemple la levure ne se conserve pas bien pour l’instant faute de réfrigérateur, ce qui nous joue parfois des tours. Mais je ne suis pas entendue : quand on a arrêté l’école à onze ans, parce que c’était au tour des plus jeunes d’y aller, que l’on a passé les années suivantes entre la culture de la terre et la garde des moutons de pâturage en pâturage, pas facile de penser à long terme. D’accepter que l’association ne puisse pas tout faire, qu’il faille de la patience, encore et encore...
Le projet est soudain ébranlé par la volonté farouche d’une réussite à court terme. Mes compagnons n’ont pas grand chose, et ils pensent que le monde qui apparaît de l’autre côté des écrans de télévision ou même en ville ne doit pas être si loin. Alors ils travaillent comme des fous, douze heures par jour. Aux champs, coupant l’herbe, menant les animaux au loin, venant travailler à la boulangerie, rentrant préparer le dîner avant de tisser à la chandelle jusqu’à épuisement. Ils voudraient se sauver de la misère instantanément, devenir « comme les autres », ces métisses qui leur rappellent encore si souvent, d’un regard dédaigneux ou d’un geste dégoûté, qu’ils ne sont « que » des Indiens. Mais apprendre à faire du pain, à gérer une entreprise, il ne faut pas seulement de la volonté, du courage, mais un temps d’apprentissage ! Alors c’est la guerre du temps. Il me faut expliquer encore et encore que mieux vaut améliorer le pain avant d’aller vendre plus loin. Que même si dans l’immédiat la communauté gagne moins, il est important de constituer des réserves au cas où le pétrin ou le four tomberaient en panne. Pourtant, inlassablement, avec un sourire qui masque mal le ton de reproche, on me demande pourquoi les bénéfices sont encore inexistants, pourquoi le pain ne se conserve pas aussi bien que celui de la ville. Un jour je réponds par l’humour, l’autre par l’explication solennelle et argumentée.

La solidarité est un travail de longue haleine. Il ne s’agit pas simplement de récolter quelques fonds pour permettre l’achat de machines, il faut encadrer, aider, soutenir, toujours prendre en compte les données psychologiques, culturelles. Sans perdre pour autant de vue que ne rien imposer en matière de gestion de l’entreprise revient à signer sa perte à moyen terme… Ce qui ne ferait que renforcer l’impression de ces gens de « n’arriver à rien » et de « ne rien savoir ». C’est chaque jour pendant plusieurs mois qu’il faut venir, répéter les mêmes gestes, ancrer les habitudes pour former ceux qui prendront la relève, créer des élites locales qui ne soient pas seulement capables de gérer l’entreprise mais soient conscientes de l’importance que leur présence constitue pour la communauté.
A l’heure où l’on remercie sans courtoisie les jeunes de leur travail des six derniers mois, je me demande si ma présence n’est pas désespérément trop courte. Et puis, le soir même, un appel, on me demande lequel des jeunes est le plus capable et pourrait rester en poste. Officiellement parce qu’une des femmes qui devait prendre le relais s’est désistée, mais je sais bien qu’il faut quelqu’un pour transmettre les recettes, le savoir-faire acquis ces six derniers mois...
Je me dis que je n’ai peut-être pas complètement perdu la guerre des Temps.

mardi, avril 04, 2006

Rassurez-vous...


D'accord, je ne partirai pas en Amazonie toute seule....

Je n'ai pas encore réussi à parler avec les jeunes, j'attends que Chancahuan se manifeste et vienne me chercher s'ils ont encore besoin de moi.

J'attends en avancant mon hypothétique roman, sagement...

Stéphanie





Pierrick dans toute sa spendeur...

lundi, avril 03, 2006

Coup dur

Hier, réunion de communauté. Mais je ne le savais pas. Je n’ai pas été convoquée. Ce matin, je téléphone à la nutritionniste qui doit venir pour parler un peu de nos recette à la communauté.
Elle était à la réunion. Elle m’annonce ce qui a été dit, je tâche d’écouter en silence, de ne pas répliquer, ce n’est pas elle qui a décide, elle est de Chancahuan mais n’y vit plus depuis 10 ans.

Compte rendu du jugement:

1) Les jeunes ne sont pas assez responsables, ils seront remplacés par 4 adultes. Aucun d’eux ne sait faire le pain. Une seule, Inès, sait lire et écrire. Les autres sont bien, mais…

2) Il y aura cette semaine (ou la suivante) en présence de Pierrick passation de pouvoir à la communauté (dois-je comprendre que j’étais jusqu’alors détentrice du pouvoir aux yeux de tous ¿ Qu’ils ont jugé ma présence trop forte pour oser prendre les décisions tant que j’étais là...)

3) Cesser de faire venir le boulanger de Riobamba… ( No Coment ! )

Les ais-je donc si mal compris…

Avaient-ils donc tant de choses à dire qu’ils ne parvenaient pas à me faire passer…

Pourquoi le groupe n’a-t-il pas été désigné avant…

C’est comme si une volonté soudaine de s’approprier le projet les animait et que, mécontents de l’avancement progressif, ils préféraient, comme un gamin qui de rage met un coup de poing dans sa tour de Lego, tout détruire. Mais vont-ils repartir sur de meilleurs bases ? En combien de temps et avec quel argent (car il faudra bien que vienne un boulanger…. À nouveau…) vont-ils former la nouvelle équipe.

Ils ont leur honneur, leur fierté, je ne peux pas leur en vouloir. Les jeunes ne sont pas grand chose dans la culture indigène, certes. Mais au moins, de grâce, une discussion, un soupçon de reconnaissance….

Ils sont pauvres. Les pauvres veulent se sauver tout de suite. Par tous les moyens. Ils n’ont pas compris ou n’acceptent pas qu’il faille du temps. Peut-être reviendront-ils sur leur décision, après avoir ramé pendant quelques temps. Rappelleront-ils au moins les deux aînés de l’équipe, Marco et Myrian…
Je suis triste pour ces jeunes qui peu à peu avaient acquis une fierté
Un espoir
Une dignité
Et un savoir-faire, mais ça, ce n’est pas perdu.

Ne vous inquiétez pas si je ne réponds pas aux mails ces prochains jours, je serai sans doute partie un peu en Amazonie afin de me détendre…