mardi, janvier 31, 2006

Marivelle est de retour !

Ce fut une grande joie: après une semaine à Quito, Marivelle est rentrée dans sa communauté. Je ne sais pas ce qu'elle a vu ou ce qu'on lui a fait mais la pudeur indigène ne m'enlaissera pas savoir plus. . . Toujours est-il qu'elle avait semblé prendre quelques années...

En cette période un peu difficile où j'ai transmis tout ce que je pouvais d'un point de vue boulangerie mais où manque encore la régularité de production et celle des acheteurs, c'est un vrai soulagement. Et c'est bon pour le moral: peut-être que si elle n'avait pas eu la boulangerie, elle n'aurait pas pu revenir si facilement puisque n'aurait pas eu de revenu dans sa communauté...

J'ose y croire!

vendredi, janvier 27, 2006

L'indigène et le portable


Faute d’être inspirée par cette brave boulangerie qui me cause bien des traces ces jours-ci entre le départ de Marivelle, les invendus de lundi et les coups de couteau sur les galletières bretonnes de Pierrick, je me laisse aller sur un air de Beethoven au récit d’une petite anecdote avant de partir pour mon heure de marche.

Pierrick avait beaucoup de choses à faire aujourd’hui à Riobamba, il n’est pas rentré manger. Je me retrouve donc seule avec Laura, indigène de 23 ans aux attitude parfois enfantines. Elle s’occupe de l’accueil des éventuels touristes à la maison et prépare à manger. Depuis plusieurs années, elle a renoncé à porter le traditionnel chapeau blanc cerné de noir des Indiens du Chimborazo. Pas plus qu’elle de porte la bayeta, cette étoffe colorée jetée sur les épaules et retenue par un long pic décoré, servant aussi de moyen de défense…
D’indigène il ne lui reste donc en apparence que l’anaco, cette longue jupe noire retenue par une ceinture colorée. Et bien que la langue de sa maison soit encore le quechua, qu’elle participe souvent aux travaux communautaires et coupe l’herbe des hauteurs pour ses animaux chaque jour ou presque avant de venir, elle se délecte devant les feuilletons à l’eau de rose américains et prend plaisir à porter des jeans moulants.

Visage habituellement rieur, un peu fatiguée, elle s’assoit à côté de moi pour quelles galettes de pommes de terre et les beignets de quinoa de la veille. (quel repas équilibré !). Nous commençons à manger silencieusement, chacune à nos pensées. La sonnerie du portable, la même que celle que l’on connaît si bien chez nous, retentit. Laura décroche. Mais elle n’a plus de crédit. Il faut recourir au message, au texto comme on dit. Comme elle a quitté l’école à onze ans, son pouce hésite ; souvent, elle me demande. Carotte, un ou deux « t » ? Et je « vien », on met quoi à la fin ?
Je suis déconcertée par ce choc culturel, trace trop visible d’un rêve qui a si peu sa place ici, dans cette communauté oû 50 pourcents des gamins de moins de 5 ans sont dénutris, dont certains avec risque de mort subite. Puis je finis par me demander si le portable n’est pas, pour bon nombre d’indigène, un moyen d’alphabétisation. Usant des messages plus que de la voix, trop coûteuse, cela les incite à poursuivre la lecture, et surtout quelques mots d’écriture par semaine, écriture si malmenée dans cette culture de tradition orale et pourtant indispensable pour tous ceux qui sont amenés, ne serait-ce que les jours de marché, en ville…

mardi, janvier 24, 2006

Une grande trsitesse... et grande défaite...

L’après midi s’annonçait bien pourtant.. boulangerie impeccable, même le sol avait bénéficié d’un nettoyage, et pour une fois je ne commencerai pas par devoir nettoyer les 12 plaques de four. J’étais loin de me douter qu’il s’agissait sans doute d’une forme d’au revoir, d’une volonté de bien faire les choses vu qu’il s’agissait de les faire pour la dernière fois.

Et puis, Myrian est arrivée. Au détour d’une phrase, comme quelque chose d’anodin, elle m’annonce que Marivelle est partie travailler à Quito hier, qu’elle ne sera pas de retour dans la communauté avant trois mois. Elle n’en sait pas plus. Je suis ébranlée. Elle était ma meilleure élève, habile au pain et capable de défendre le projet devant la communauté.

Je m’interroge : Abran n’est pas revenu la semaine dernière, cette fois c’est Marivelle. Pourquoi suis-je ici ? Quel est vraiment le sens du projet ? Si le but est de permettre à des gens de la communauté de rester parmi les leurs afin qu’ils puisent conserver leur culture et la richesse des liens communautaires, l’entreprise n’est –elle pas vaine ? Myrian me répond que non, qu’elle et Marco ont l’intention d’aller étudier à l’université à Riobamba et qu’ils rentreront chaque soir, que la boulangerie leur permettra de payer les frais de scolarité. Feront-ils en effet tous les deux partie de ces 1% d’indigènes qui ont accès au supérieur ? Pourront-ils continuer… seront-ils encore motivés dans deux ans ?

Comment lutter contre l’exode rural qui est un phénomène naturel accompagnant l’industrialisation ? La ville, se sont des salaires deux fois plus élevés, mais des horaires de travail (ou devrais-je dire d’exploitation…) de 12 à 14 heures par jour. Et le soir, c’est la solitude, l’anonymat… D’ailleurs, Marco vient d’arriver et m’annonce que ce n’est pas Marivelle qui voulait partir mes ses parents qui l’y ont poussée. Comment leur en vouloir ? Vu de Chancahuan, Quito, c’est la réussite, la richesse, l’accomplissement d’une éducation.
Je m’attriste pourtant d’imaginer cette adolescente embauchée comme secrétaire alors qu’elle ânonne plutôt qu’elle ne lit. Perdant en devenant salariée les dernières libertés de l’adolescence alors qu’elle n’a que quinze ans.

En ce qui concerne le parrainage, si les parrains sont d'accord, je pense recentrer les fonds sur Marco et Myrian qui se sont engagés à rester en tout cas jusqu'en juin. Ils s'épaulent mutuellement et s'entendent vraiment bien tout en étant efficaces. Dans la mesure oû ils sont au collège à Calpi, ils ne peuvent en effet pas se permettre d'aller travailler après à Riobamba. Ensuite, la réunion communautaire aura lieu dans deux semaines au cours de laquelle j'insisterai pour former deux personnes qui soient des femmes ayant des terres à Chancahuan, ce qui n'est pas le cas des plus jeunes, plus attirés de ce fait par le mythe de la ville. C'est promis, en tous cas, je n'abandonnerai pas...

jeudi, janvier 19, 2006

Quelques chiffres :

Après ce petit cours de quechua, quelques chiffres.

A mi-séjour ici, je totalise:

- 120 jours en Equateur
- 180 heures de marche
- 84 aller-retour de San Fransisco à la boulangerie de Chancahuan
- 410 plaques de four nettoyées
- Trois élèves devenus des boulangers capables de réaliser seuls trois ou quatre recettes (sans compter les variantes du gateau à la banane que l'on fait aussi bien à la mangue qu'aux carottes !)
- 18 jours ou soirées sans électricité
- 14 jours tous les 5 en famille

Je continue pèle-mèle:

- 4 sommets de plus de 4 000 mètres
- 25 pages dactylographiées d'un hypothétique roman
- 0 jour malade à en rester couchée au lit toute la journée (je touche du bois)

- 16 mercredis soir à attendre le courrier et les nouvelles d'Europe
- 28 lectures de romans en tous genres ou livres sur l'Amérique latine
- 18 pages traduites d'espagnol à français sur la reproduction des lamas
- des centaines de sourires échangés...

Ton premier cours de quechua ou "J'ai rêvé d'un porc qui est allé se baigner"

Tout d'abord, il te faut trouver la casa Indigena, la maison des indigènes. Certes, tu sais qu'elle est rue Cristobal Colón (!) mais elle est longue et évidemment, tu n'as pas de plan. Tu y arrives finalement, impressionné par ce beau et grand bâtiment ou sont côte à côte les salles d'alphabétisation, les dortoirs pour indigènes migrants et une école bilingue quechua. Enfin, tu trouves la feuille format A4 qui confirme qu'il y a bien un cours de quechua qui commence lundi.

"Ñukaka, shuk kuchi armakushkatami muskuskani"
Non, ne fais pas semblant de lire en parcourant juste du regard. Ce n'est pas si difficile à prononcer, il faut juste lire syllabe par syllabe, prononcer le u "ou" et le ñ "gn". Ressaye encore...
"Ñukaka, shuk kuchi armakushkatami muskushkani" Oui, c'est mieux, ça vient !Encore un mois de cours intensifs et tu devrais pouvoir communiquer dans leur langue maternelle avec les Indigènes.
Poursuivons encore un peu:
Ñukaka, je
shuk, un
kuchi, porc
armakushkatami, qui est allé se baigner
muskushkani, j'ai rêvé.
Assez explicite en fait. Et puis, c'est un rêve typiquement indigène...

Mais comment se fait il que "armakuskatami" puisse signifier ce qui nécessite 5 mots en français? Pas si difficile: à la racine, arma, qui signifie se baigner, on ajoute une série de morfèmes qui modifient le sens du mot. -ku signifie avoir, -ska indique le passé compasé, -ta précise qu'il s'agit d'une réponse à une question, et -mi pour l'affiramation.

Répète une dernière fois maintenant que tout est clair:
"Ñukaka, shuk kuchi armakushkatami muskushkani"
Bravo ! Fais de beaux rêves !
Kayakama (A bientôt)

lundi, janvier 16, 2006

Entre deux mondes... ou les difficultés et joies de l'humanitaire !

D’Equateur je vous salue

La boite rouge a été abîmée par le voyage. Je tente d’arracher le plastique, dur comme tout, j’arrive pas. Les pots de confiture, les boites de CD, je m’en sors jamais avec ces choses-là. Quand il s’agit de les ouvrir. C’est du Chocolat Suisse et j’en ai très envie, alors je persiste. Marre du riz et de la soupe à la patate à tous les repas. Des papayes pourries. Un coup d’œil dans le placard, unique, qui contient toutes mes affaires. Pulls, chaussettes, quelques piles d’avance pour l’appareil photo. Pas de ciseaux, pas même un coupe ongles. Vas-y pour la lame de rasoir. Le film transparent cède enfin. Dénude la boite qui s’ouvre d’un coup. A failli se renverser. Odeur douce de l’enfance, de la vie d’avant, facile. Les soirée cinéma entre amis, les petits restaurants, les ballades nocturnes sur les bords du lac. A regarder les étoiles en discutant à voix basse. L’heure des confidences.
J’en saisis un. J’ai toujours commencé par mon préféré. Le chocolat au lait avec crème caramel à l’intérieur. Je croque le dessous pour pouvoir ensuite lécher le meilleur. Comme le chien maigre qui au dehors est en train de vider les poubelles pour lécher les blancs d’œufs restés au fond des coquilles. Je me fais surprendre. Avec la chaleur le caramel est liquide. Je mets le tout dans ma bouche, goulûment mais j’ai pas le choix. Lèche mes doigts.
Un coup d´œil à la fenêtre, la bouche pleine. Une femme pliée en deux coupe la luzerne à la main. Pas même à la serpette ou à la machette. A la main. Fait des petits tas. A la tombée du jour, elle chargera le tout sur son dos. De retour chez elle, étendra la verdure sur les deux étages des clapiers à cochons d’inde. Dans deux semaines c’est jour de fête, ils doivent être bien gros pour le marché. Au moins il devrait y avoir des acheteurs en cette saison. Noël est dans quinze jours. Pas de veillée sans pommes de terre à la sauce cacahuète et cochon d’inde grillé. Entier avec la peau. Ne pas perdre la peau qui se déchire sous les dents. Animal juste ébouillanté pour ôter les poils. Viande goûtée et si savoureuse. Met de rois. Indigènes rois le temps d’un soir. Rois de quoi ? Rois pour eux-mêmes.
Je retourne vers la boite rouge. Envoyée pour Noël et arrivée avec un peu d’avance. Pourtant d’habitude le courrier est toujours en retard. Un autre chocolat. Le même. Cette fois, je ne me laisse pas surprendre par le caramel. Il n’y en avait que deux. C’est le dernier, il me reste encore quatre mois ici. Bien sûr j’ai qu’une boite. 21 chocolats. Mais aujourd’hui je m’ennuie. Je lis depuis six heures du matin. Pas d’électricité. Coupure depuis le début de la semaine. Couchée à huit heures tous les soirs. Pas moyen de lire à la bougie. Les yeux trop fatigués par le soleil et la poussière. Encore trois heures avant d’enfourcher le vélo, de passer le chemin des eucalyptus, traverser le village de Telempala, puis débouler sur le sentier de terre, poursuivie par les chiens prêts à mordre si je m’arrête. Ouvrir le gros cadenas qui retient la porte de fer. Et enfin entrer dans la boulangerie. Entrer en scène. Attendre de voir arriver mes élèves avec une ou deux heures de retard.
Sur le chemin de eucalyptus je croise une gamine de huit ans. Ses pieds sont nus. Elle rattrape son cochon pour le remettre sur le droit chemin. Une grosse bête noire, au moins trente kilos. Elle a l’habitude. Le champs est encore loin mais ils y vont avec détermination. Au moins la gamine. Le cochon, c’est autre chose. Je les salue. Les double. Puis ils me rattrapent. Ça monte trop, je dois pousser le vélo. J’ai plus de souffle avec l’altitude. Enfin la descente finale.

Quinze heures, toujours personne. J’attends depuis une heure. J’ai déjà nettoyé toutes les plaques de cuisson, récuré le sol. Ma veste pue la graisse refroidie. Je m’assois par terre et griffonne quelques mots sur un bout de papier. Quelques objectifs du jour. En français dans le texte. 1- former. 2- responsabiliser. 3- Je ne sais plus. Je pense au chocolat glissé en dernière minute dans la poche de ma veste. Quand le four sera allumé il va fondre. Ce n’est pas raisonnable. Mais j’ai une excuse valable.
Enfin Marco passe le pas de la porte. Il s’approche pour me serrer courtoisement la main. Ses chaussures sont boueuses. Laissent de grosses traînées brunes sur le sol. Carrelage blanc. Je n’élève pas la voix. Je m’applique à sourire. Peuple suffisamment humilié au cours des siècles derniers. Devenu craintif et sensible. L’essentiel c’est qu’il soit là. Son sourire un peu forcé laisse paraître ses dents tâchées d’ocre.
Premier arrivé, il a le choix de ce qu’il fera. Pain, sablés ou gâteau à la mangue. Jeune apprenti aimant par dessus tout les travaux de cuisson. Allumer le four, attendre que l’aiguille ait fait un tour et demi. Le thermomètre ne va que jusqu’à cent vingt degré. Quand il indique – 10 on peut enfourner. Ça ne le gène pas, de toute manière il avait jamais vu un thermomètre de sa vie. Qu’est ce que ça peut bien lui faire qu’on enfourne à – 10 degrés ou à 210 ?
En attendant que ça chauffe, je lui montre comment faire la pâte du pain à la quinoa. Il faut améliorer la nutrition de la communauté. C’est riche en vitamines et en acides aminés. On trie les grains. Puis il faut les frotter pour nettoyer. Faire des cercles avec les paumes en appuyant bien fort. Ça c’est lui qui me montre. Je sais pas faire. J’ai juste un grand père boulanger qui m’a appris un peu le métier avant de partir. Je veux dire, la pâte à pain, les croissants. Bon, les pâtisseries, on n’en fait pas ici, c’est trop cher. Il était pas peu fière le grand père, quand je lui ai annoncé que je partais là-bas aider à monter une boulangerie. Il m’a dit : « Tu verras, c’est un dur mais beau métier ». Je l’ai cru. Moi aussi j’étais fière de marcher dans ses pas. Et puis, quand j’ai un soucis, s’il n’y a pas de coupure d’électricité, je peux toujours l’appeler, lui demander. C’est comme les consultations de médecin à distance, ça marche pas à tous les coups. Mais au moins je me sens moins seule face aux doutes. C’est mon joker. Sauf que je joue pas une partie de carte, mais le pain de tout le village. Cinq cent personnes qui comptent sur moi. Sur nous.
Retour à la quinoa. Cuire. Plus d’une demi-heure. C’est long à cause de l’altitude. Verser les petits grains presque translucides sur la pâte à pain après avoir égoutté. Marco garde le jus de cuisson et le boit encore chaud. Il m’en laisse la moitié. C’est excellent pour les reins, me dit-t-il. Je bois, on ne refuse pas. Tâchant de ne pas perdre la face. Malgré le goût étrange. On dirait un mauvais thé infusé trop longtemps. La chaleur du four me donne le tournis. La sueur coule sur les visages. Je finis la tasse avec un sourire. Améliorer la qualité de l’alimentation commence par accepter les recettes ancestrales. Du moins j’essaye de m’en convaincre. J’irai voir plus tard sur Internet les vertus du jus de quinoa. Au fond de moi je sais qu’il a raison.
Arrive, Marivelle. Deux heures de retard. Pas de ma faute j’ai dû amener les lamas de l’autre côté de la colline, grand-mère est malade. Passe pour cette fois. Mais la pâte est terminée, que reste-t-il à apprendre ? Je lui propose de faire au moins quelques crêpes. C’est bien les crêpes, parce que c’est mou. Les gens ici ont de mauvaises dents. Ou plus de dents du tout. Je rappelle patiemment les mains lavées au savon, les œufs dans le lait avant la farine.
Marco et Marivelle n’osent pas prendre l’initiative quand je suis là. Ils écoutent docilement avant d’aller rire de mon espagnol approximatif quand j’aurai le dos tourné. Ils ont quinze ans, encore un peu des gamins. J’écoute, je rassure, même si leurs doutes, ils se les confient en quechua. Alors forcément, je ne les comprends pas. Ressentir. Etre à l’écoute des rires. Nerveux ou moqueurs. Parfois heureux.
Marco jette un coup d’œil à la fenêtre. On joue au foot. Quand il sortira les derniers pains du four il fera nuit. Il revient su fourneau l’air rêveur. Marivelle entame sa première crêpe avec la peur de faire mal. Et de devoir essuyer les critiques de la communauté. « Marco fait mieux que moi. » D’une voix douce, je réconforte : « Tu vas apprendre. » Elle tente sans conviction. Retourne trop tôt, la pâte accroche, se déchire. Spatule toute engluée. Ça sent le brûlé maintenant. Dommage, l’odeur de pain dominait depuis peu celle de la graisse refroidie. Panique lorsqu’elle réalise que l’autre poêle est toujours vide. Marivelle appelle Marco. Il se fait prier. « J’arrive ma femme », dit-il, sourire malicieux. Si content qu’on fasse appel à lui. Il m’interroge du regard, je hoche la tête en signe d’approbation. Il explique en quechua. Mieux que moi sans aucun doute. Pas seulement parce qu’il parle la langue maternelle. Aussi parce qu’ils sont complices.
Marivelle réussit sa première crêpe. Elle est très fière. Et que dire de lui… Il a quitté l’école à onze ans. A erré en ville de petit boulot en petit boulot. A ciré les chaussures. Aidé aux champs, mais ça gagne pas bien. Vendu les bonbons à l’unité. Surtout, repérer les métisses bien habillés. Tant pis s’ils donnent sans sourire, avec condescendance. Même mendié une fois ou deux. Il préférerait l’oublier. Ce n’est pas digne d’un Indien quechua.
Le minuteur sonne. Les pains de quinoa doivent être prêts. Marco ouvre le four. Jette un coup d’œil. M’adresse un sourire. Je viens de comprendre que je n’aide pas seulement à la concrétisation d’un projet communautaire, à la création d’une micro entreprise. Je leur apprends un métier. Et plus que cela, le droit d’exister. D’être reconnus pour ce qu’ils sont. Indigènes qui sont trop souvent regardés de haut par les métisses. Indiens des campagnes qui vivent dans les maisons en terre battue.
Pour rien au monde je ne voudrais être ailleurs.

mercredi, janvier 11, 2006

Futurs boulangers avertis cherchent parrains le temps de leur formation

Bonjour à tous, amis de la boulangerie de Chancahuan !

Maintenant que la boulangerie est lancée, il faut produire régulièrement. Mais pour l’instant, les quantités vendues sont trop faibles pour permettre de couvrir les salaires.

En effet, pour que mes élèves puissent pratiquer et progresser régulièrement, il faudrait que chacun vienne quatre jours par semaine. En échange de leur participation à la production, ils sont rémunérés deux dollars par jours. Si le chiffre d’affaire dépasse 7 dollars, ils touchent 2.50 $. Vu d’Europe, ce n’est pas énorme. Mais avec un chiffre d’affaire quotidien compris entre 3 et 8 dollars, difficile de payer 6 dollars par jour rien que de salaire !

Je souhaiterais donc mettre en place un système de parrainage. Je pense qu’il faudra environ trois mois pour que notre petite entreprise soit suffisamment rentable pour couvrir les salaires. En attendant, je propose que les deux dollars de base soient couverts par un parrain à qui je donnerai régulièrement des nouvelles de l’élève.

Petite présentation :

Marivelle : Première formée, Marivelle a 15 ans. Elle a été des premières à s’intéresser au projet et à le défendre. Sérieuse, discrète mais efficace bien que manquant encore un peu du sens de l’initiative, cette adolescente souhaiterait rester dans sa communauté, ce qu’elle a pour l’instant toujours réussi à faire depuis qu’elle a quitté l’école, il y a quatre ans. (Moins de la moitié de la population a accès au collège en Equateur…) Elle possède un lama et trois moutons, dont elle s’occupe tous les matins, son travail à la boulangerie lui assurerait un revenu complémentaire… et l’apprentissage d’un métier.








Marco : (a gauche sur la photo)
Venu juste pour voir et donner un coup de main plusieurs fois en décembre, Marco fait désormais pleinement partie de l’équipe. Au collège le matin, il arrive un peu plus tard que les autres, mais une fois à l’œuvre, rien ne l’arrête. Roi du four (jamais il n’a sorti une plaque trop ou pas assez cuite), il est surtout connu dans la communauté pour… ses crêpes bretonnes ! La nouveauté à Chancahuan, crêpe à la confiture de mûre, vendue 8 centimes, les gamins adorent pour le goûter ! De la vente par contre il lui reste pas mal à apprendre…


Myrian : (a droite sur la photo)
Marco l’appelle déjà « Ma femme », avec un petit sourire malicieux… Les inséparables compagnons, tous deux âgés de 15 ans, se voient bien assurer dans quelques mois la production toute la semaine tandis que l’autre équipe ferait le week-end… à suivre. Prometteuse élève en tout cas en ce qui concerne la pâte et le test de nouvelles recette. Myrian fut la première à oser faire du pain et des sablés en mon absence, preuve qu’elle assure la responsabilité de la boulangerie… et les éventuelles critiques de la communauté lorsque le pain est dur ou trop salé.

Abran : (au fond à gauche)
Dernier venu de l’équipe, le plus jeune aussi, du haut de ses 12 ans ce fils de l’ingénieur de la communauté est déjà d’une débrouillardise remarquable. Calme et efficace, s’il ne peut assurer seul la production, il est d’une aide précieuse…







Norma : Pour l’instant employée à la scierie du village, Norma devrait nous rejoindre d’ici 15 jours. Seule adulte (32 ans) de la troupe, je compte sur elle pour assurer après mon départ les aspects plus techniques (notamment la comptabilité).

Le parrainage peut se faire pour les trois mois ou pour une durée plus courte (8 dollars par semaine). Pour toute information complémentaire, envoyez-moi un petit mail (stephanie.laurent@sciences-po.org) et je me ferai un plaisir de répondre.

Merci d’avance pour eux…
Stéphanie

dimanche, janvier 08, 2006

Il reste du pain sur la planche !



Voilà ma petite famille repartie, après d’inoubliables moments partagés, des nuits glaciales à la maison des volontaires à la randonnée amazonienne en passant par l’ascention au deuxième refuge du Chimborazo, passant ainsi tous ensemble la barre des 5 000 mètres.
Mais comme toutes les bonnes choses ont une fin, cette période familiale de découverte du pays a pris fin. Chacun est retourné à ses activités, l’un à la préparation du bac, l’autre aux marchés de glaces nordiques, l’une au Danois, l’autre à la gymnastique intensive. Pour ma part, il ne me reste plus que quatre mois avant de quitter la boulangerie. Petit bilan :

- La formation : J’ai formé à 50 pourcents trois personnes qui sont efficaces et motivées mais font encore de grosses erreures comme de partir une demi heure après avoir commencé la vente ou vendre même les pains trop cuits… ce qui n’est pas très bon pour la publicité.
Il reste trois personnes à recruter et former afin qu’à mon départ trois équipes de deux soient opérationelles.

- Les recettes : Le pain sucré (et ce qui en dérive, c’est à dire pains au chocolat, croissants…) et les sablés sont au point. Il reste à maximiser les rendements, car d’une même pâte il sort parfois 42 parfois 80 sablés… toujours vendus au même prix ! Il reste à mettre au point une bonne recette de pain complet et de pain blanc salé.

- La vente : pour ce qui est de la communauté, dès la prochaine réunion, l’approvisionnement en pain de la ville sera stopé, donc 500 personnes seront « automatiquement » clientes(c’est ce qu’on appelle de la concurrence monopolistique… si mes souvenirs de cours d’éco ne sont pas trop loins) . Ensuite, il faudrait aussi vendre à deux communautés proches qui sont demandeuses (mais comment ? A pieds il faudrait 4 heures de livraison mais comme le chiffre d’affaire quotidien n’a encore jamais dépassé les 15 dollars, la mobylette n’est peut-être pas pour tout de suite...)
Enfin, comme le pain est vendu 5 centimes dans les communautés, le bénéfice est pratiquement nul, il faudrait donc vendre en ville. Une possibilité serait de perfectionner les sablés et les faire vendre aux écoliers qui se rendent de toute manière chaque jour sur place.

Voilà pour les conclusions... place à l'action!