mercredi, avril 12, 2006

Confessions

Depuis trois jours la boulangerie devrait fonctionner avec une équipe de deux femmes et deux jeunes. Mais les femmes ne viennent pas et la présence des jeunes n’est toujours pas vraiment acceptée par la communauté. Résultat, la boulangerie est fermée.

Le lâche du mou et soudain tout explose. Non que je fus indispensable, mais que je maintenais un éphémère équilibre que j’avais moi-même crée et qui reposait sur les jeunes. Des adolescents qui n’ont jamais été vraiment reconnus par la communauté en tant que boulangers.
Comme le dit Montaigne, « Enseigner, ce n’est pas remplir des vases, c’est allumer des feux » J’ai sans doute allumé des feux, mais de quel type sont-ils ? De ces flammes qui réchauffent les âmes et les corps ou de ces brasiers qui dévastent tout sur leur passage ?

En arrivant à Chancahuan, je suis redevenue enfant. Je m’émerveillais de tout avec enchantement, m’indignais parfois en me promettant de changer les choses. Je me retrouvai face à des interlocuteurs dont je ne comprenais pas les us et coutumes. Je ne connaissais que quelques bribes du langage des regards et des attitudes. Presque rien de l’importance des rapports de force et des rivalités de pouvoir. Je suis encore très jeune dans ce domaine, je commence tout juste à prononcer mes premiers mots. Les autres, je les balbutiais mais on ne hochait la tète que par politesse, sans manifestement approuver mon argumentation. Il m’a fallu apprendre à comprendre le langage de ces adultes, de ces Indiens qui jamais n’osent faire critique ouverte à un « blanc ». Adapter mon argumentaire à leur manière de penser.
J’ai fait du mieux que j’ai pu, mais je manquais d’expériences pratique et culturelle. Je ressens le goût amer d’avoir forgé mes armes dans les Tiers-monde : j’aurais pu apporter tellement plus en étant plus qualifiée…

Placée là par le « Padre », j’avais d’emblée un certain statut, une autorité. Mais en m’imposant comme tierce personne dans cette aventure communautaire, n’ais-je pas dessaisi la communauté du projet ? En poursuivant la formation alors qu’il n’y avait que des jeunes, n’ais-je pas été contre la culture qui ne reconnais pas les adolescents comme des personnes pleinement responsables ? Généré un mécontentement qui se manifestait pas une sorte de résistance passive, des clients qui ne venaient plus, ceux qui critiquaient le pain pour ne pas me critiquer personnellement ? Sans doute étais-ce leur manière de dire : « Nous, adultes, avec notre dignité et notre responsabilité, ne laisserons pas notre projet passer aux mains d’une étrangère. »

Au lieu d’accepter que ma présence n’était pas bien vue par tous, j’ai endossé patiemment le fardeau des critiques quant à la qualité du pain et me suis acharnée à les faire taire. Tâchant inlassablement d’améliorer les méthodes de travail des jeunes, les recettes. Mais je pense aujourd’hui que j’aurais dû plus insister sur les limites de ma fonction, mère trop possessive d’un petit qui n’était pas le mien. Face à l’ardeur des reproches, j’ai au contraire argumenté encore et encore, partant du principe que la parole était reine dans cette culture orale. Mais je crois que mon discours n’était pas vraiment entendu, puisqu’il était justement mien, et non celui d’un membre de la communauté. Ëtais-ce vraiment à moi de défendre le projet aux yeux d’une communauté qui le considérait comme sien. Mes les jeunes, qui n’avaient pas l’âge d’être écoutés puisqu’ils n’étaient pas majeurs, ne pouvaient endosser le rôle d’intermédiaire entre intérieur de la boulangerie et extérieur. Il fallait bien que communication il y ait…

Par moments, je serais presque tentée d’en vouloir à la communauté de n’avoir pas su tirer profit de ce qui lui a été donné. Mais je m’interdis ce raisonnement, c’est moi qui suis là pour aider, c’est à moi de m’adapter. De composer avec ces adultes mal armés pour conduire leur destin. De faire avec le Président de communauté qui noie son désarroi dans l’alcool, avec ces femmes qui critiquent après être venues acheter leur pain avec un grand sourire. Avec celles qui chaque jour lèvent la tête de leur champ, me demandent immuablement où je vais et pour quoi faire, et moi de faire cent fois la même réponse. Il était mon devoirs de reprendre cent fois l’explication de la rentabilité qui tarde à venir, en prenant soin de ne pas employer les termes d’ « économie d’échelle » ou de « coûts fixes ». Dire seulement que quel que soit le nombre de pains, il faut une heure pour que le grand four chauffe et que cela consommait un quart de bouteille de gaz.

Je laisse la communauté prendre les rennes, du moins jusqu’à ce qu’on me rappelle, peut-être pour un coup de main ponctuel. Je ne sais quel bilan faire de ma présence. L’expérience, pour ma part, fut indéniablement fascinante. Mais quel a été l’impact de ma présente sur la communauté ? J’ai parié sur la jeunesse persévérante et que comprenais mieux que les adultes. Partagé les espoirs de Marivelle qui rêvait qu’en travaillant à la boulangerie elle pourrait, l’an prochain, reprendre des études. J’ai écouté Marco, qui ne voit de futur qu’en l’armée, faute d’un intérêt délirant pour la chose militaire, elle lui apporterait du moins une situation stable. Myrian m’a un jour avoué qu’elle aimerait aller au collège mais que ses parents utilisaient son salaire pour acheter de nouveaux semis. Parents qui peinent à penser le futur tant le présent est une lutte de chaque instant pour la survie et la dignité.

J’aimerais avoir appris un métier à ces jeunes sans avoir marginalisé les adultes, dont je ne saisis toujours pas complètement la raison des non venues. Etais-ce humiliant de se soumettre à plus jeunes que soi ? Faut-il mettre en cause les rivalités de pouvoir et d’intérêt au sein de la communauté que jene comprends pas ?

Je pars à une semaine de réflexion sur la gestion des projets sur la côte : trouverai-je à mon retour Marco et Myrian en train de transmettre leur savoir-faire à deux femmes qui accepteraient de s’engager dans la voie de la boulangerie ? J’ose l’espérer…

1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Nothing is as simple as we hope it will be.
Jim Horning


Maman & Florian

2:37 AM  

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