dimanche, décembre 11, 2005

Un jour comme un autre...

Sans montre ni réveil, vers six heures et demi, avec le jour, je me réveille: la journée appartient à ceux qui se lèvent tôt! Bien qu’en fait les indiens soient déjà pour la plupart levés depuis pas mal de temps, cette heure, avec mes repères habituels, sonne encore un peu matinale. Un petit pain, un thé, suivis d’un brin de lessive sur la terrasse, les mains dans l’eau glacée, mais c’est par grave, la vue sur l’Altar et le Tungurahua dégagés, les deux volcans que nous voyons de la maison, compense.
Marielle se prépare à aller visiter une des quatre garderies, Pierrick revient de la messe. Je me pose devant l’ordinateur nommé Chimborazo, mot de passe: “mashi”, c’est à dire ami en quichua. Je reprends alors consciencieusement la traduction sur la reproduction des lamas laissée là hier soir, après avoir corrigé les modifications faites par l’ingénieur qui travail au diocèse de Riobamba sur le projet de réintroduction de l’espèce dans la province. Comment traduire que “Le colostrum est très riche en anticorps maternels qui vont apporter au petit une protection passive”? Dictionnaire, oh dictionnaire, viens à mon secours...
En milieu de matinée, Laura arrive, souriante et enjouée, on discute un peu avant de se remettre au travail. Eternelle curieuse, elle interroge: Où est Marielle? Est ce que Pierrick mange là ce midi? Tu fais quoi? Je pose l’ultime question: on mange quoi ce midi? Soupe avec des pommes de terre et spaghetti bolognaises.
Le repas vite pris – on m’attend à une heure marche de là- je pars d’un pas rapide, moules sur le dos, en direction de la boulangerie de Chancahuan. Petit chemin de terre battue, je croise quelques personnes qui me saluent de leurs champs où ils gardent patiemment leur animaux, assis dans un petit abris de paille. Ultime descente, un petit chemin qui serpente entre les eucalyptus, puis j’arrive au village.
La place principale est déserte, seule la femme de la tienda, l’épicerie communale, est à la fenêtre, en attente d’un hypothétique client. Accoudée au rebord de la fenêtre, la petite dernière d’un mois sur le dos, elle m’accueille avec le sourire. “15 oeufs s’il vous plait” Elle s’en va les préparer, ses trois autres gamins qui jouaient calmement dans la boutique à sa suite. “Les pains d’hier ne se sont pas vendus, il en reste 17. Les gens disent qu’ils étaient trop durs.” Et non, j’avoue, je n’ai pas encore le secret pour faire des pains tous mous qui ne durcissent qu’au bout de quatre jours. Pas facile de s’adapter à la demande locale... tout en essayant d’améliorer l’alimentation : comment faire un pain mou qui ne soit pas plein de margarine ? Nous en venons alors à la question fatidique: la clé de la boulangerie. “C’est le Président de la communauté qui est parti avec, il doit être à Riobamba.” Bien: je me résous à attendre son retour, tâchant de faire preuve de la même patience que les personnes avec qui je travaille...
Au bout d’une demi-heure, n’y tenant plus, je rejoins les maçons qui travaillent un peu plus bas et donne un coup de main au transport des briques. Arrive alors, non pas la clé, ce serait trop facile, mais la sœur cadette de Marivelle, avec qui je travaille habituellement. Longiligne, grande pour son âge, ses yeux pétillent de malice. “Ma sœur est partie aider aux champs aujourd’hui.” Elle a onze ans. Tout en portant quelque briques, on discute, j’ai du mal à croire que cette gamine n’a qu’un an de plus que ma petite sœur. Dans six mois elle aura fini l’école primaire, elle ira travailler à Riobamba, pour aider dans une boutique peut-être, sinon elle ne sait pas. Agile, elle poursuit sans s’interrompre, plus rapide que moi sans doute, le transport de briques. Une dans chaque main, la troisième posée sur les deux premières, et c’est parti.
Quand enfin revient le président de communauté avec la clé, nous troquons vêtements de chantier pour la blouse blanche. 10 livres de farine, un litre et demi d’eau... Tiens, c’est étrange, la pâte ne prends pas aujourd’hui. Quelle quantité d’eau as tu mis? Un litre et demi. J’en déduis que c’était une livre et demi. Pas facile de passer d’une mesure à l’autre, de lire la bonne ligne sur cette balance qui affiche le deux unités...
Flor fait signe par la fenêtre, elle viens rejoindre sa copine. Les mains à la pâte, elles murmurent et parfois répriment un éclat de rire. Elles se parlent en quichua, je tâche en vain de percer leurs mystères, elles n’articulent pas, parlent vite, et puis je n’ai pas assez de vocabulaire pour comprendre. Peut-être est-ce mieux ainsi. Si je dois savoir, elles finiront bien par me traduire. Je sais qu’on se moque un peu de moi, de mes fautes de grammaire, de ma manière de leur demander de s’activer un peu au moment d’enfourner.
Lorsque tout est dans le four, leur travail est fini, et l’enfance enfouie reparaît soudain, les deux gamines jouent à glisser sur le carrelage qui change de la terre battue de la maison, elles rêvent de jouer avec l’eau, eau courante ici, contrairement à la maison. Tout en se décidant à laver les plaques de four pendant que je suis au fourneau, elles entonnent un refrain en quichua, comme pour tromper l’ennui. C’est long cinq heures de suite à se concentrer quand on a onze ans.
L’aînée, Marivelle, revient des champs, qui accepte d’effectuer la vente ; à présent elle ose, elle avait si peur de ne pas en être capable au début, de ne pas le faire correctement, d’essuyer les critiques des acheteurs face à ce pain qui ne ressemble pas encore vraiment au pain d’ici. Il est cinq heures et demi, le m’en vais au pas de course pour ne pas rentrer de nuit. Sur mon dos, quelques pains qui sortent du four que je distribue à la communauté que je traverse sur le chemin du retour. On m’y appelle parfois par mon prénom maintenant : je n’arrive pas à me dire que c’est « normal » : rien n’est normal ici, tout est découverte, étonnement, rencontres jamais pareilles et expériences chaque fois renouvelées.



Ma deuxième élève, autre soeur de Marivelle, qui a ... 17 ans de plus qu'elle!

1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Durs ou pas nous allons savourer tes petits pains avec tellement de plaisir dans....quelques jours !!
et je suis sure qu ils seront meilleures que les petits pains Danois.
Maman

11:12 AM  

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