jeudi, septembre 01, 2005

Les pays nordiques existent-ils ?

« Je passe mon été dans les pays nordiques ». Tout en écrivant ces mots au dos d'une carte postale, je souris en pensant à la méprise que je commets. Comment peut-on oser employer ce terme générique pour désigner l’un des quatre pays nordiques, différents de fait. Singulièrement différents, pourrait-on rajouter après avoir discuté avec quelques Norvégiens. Voilà la précision apportée, c’est bien sur les côtes norvégiennes, au milieu d'un large complexe industrialo-portuaire que nous a déposé le « Crown of Scandinavia ». Sur mer, l’équipage était danois, à terre, l’intonation de la langue est moins dure, la prononciation moins gutturale… et les femmes ne sont pas blondes, contrairement aux Danoises !
Nous voilà sur la route : le bateau ne tarde pas à laisser s’échapper de ses entrailles la centaine de voitures qu’il renfermait. Chacun est sorti dans l’ordre et le calme, les oreilles encore un peu bourdonnantes et le corps tanguant légèrement après la nuit à bord. Heureusement, le parcours d’orientation pour rejoindre la route principale traversant le pays d’est en ouest est à peu près aussi efficace qu’une douche froide. Ici, tant qu’il ne faut pas tourner, on estime que vous êtes suffisamment intelligent pour continuer tout droit. Et ce même s’il y a douze bifurcations et dix sept virages avant le prochain panneau d’indication ! Le pays est vaste, immense par rapport au nombre d’habitants : on ne gaspille pas les panneaux de circulation, pas plus qu’on ne peut se permettre de refaire les routes… Bien sûr, l’Etat est riche, grâce au pétrole de la mer du Nord, mais en peuple chasseur qu’ils ont toujours été, les Norvégiens préfèrent amasser de l'or pour le jour où les sources se tariront. Il faut dire qu’à soixante dix dollars le baril, mieux vaut sans doute vendre aujourd’hui que demain…
Même si donc pour le conducteur, la traversée du pays pour rejoindre la hutte (autrement dit cabane) qui nous attend sur l’autre versant du pays se révèle assez exténuante, il faut reconnaître que de l’arrière, bien qu’un peu secoués, nous ne pouvons qu’apprécier le charme de ce paysage verdoyant, changeant, tantôt montagneux (si, si, nous avons vu la neige, en août !), tantôt plat, laissant paraître de vastes étendues sylvestres propices à la reproduction des trolls et des elfes. Partout, de l’eau. Lorsque l’on arrive dans les terres, cascades impressionnantes, torrents dévalant par-dessus les tunnels et immenses lacs ne sont jamais loin.
Ca y est, nous y sommes. On milieu de nulle part, au bout d’un chemin défoncé, une vieille dame ne parlant pas anglais nous attend à la réception. Sur les doigts de la main, elle nous indique que nous sommes dans la hutte numéro cinq. Et les clés ? Elle nous fait signe d’y aller. Remontons dans la voiture, encore quelques bosses, un à pic, un gué… et voilà la hutte en question, les clés sur la porte. Nous n’avons rien payé, elle n’a même pas notre nom, mais nous sommes ici comme chez nous! Nous en referons l’expérience: ici, la confiance règne.
Il faut attendre le lever du jour, vers cinq heures, pour découvrir où nous sommes : un petit chalet de bois, rustique bien que récemment construit, à une vingtaine de mètres du lac où l’eau claire nous attend pour un bain… revigorant.
Au programme de la semaine : tentatives de pêche en barque, tour du lac non balisé à travers épines et marécages, exploration des fjords alentours. Notre recette ? Prendre une route, aller jusqu’au bout, où généralement c’est la mer, une cabane de pêcheur, ou une propriété privée et le regard amusé des habitants que nous rencontrons.
Un jour que nous avons eu de la chance, nous sommes arrivés près d’un champ. Prise en tenaille entre le pays des trolls et celui des sirènes, une résidence coloniale au terrain impeccablement entretenu. A deux heures de route de la ville la plus proche ! Le terrain, immense, jouxte une forêt agripée aux escarpements et se jetant en d’immenses falaises dans la mer sombre. Préférant terrain de pique-nique plus modeste, nous avons jeté l’ancre pour quelques heures devant la cabane de pêcheur qui se trouvait à l’écart du bâtiment principal. Blottis au fin fond du fjord, dans nos manteaux malgré un soleil clément pour la saison, nous admirons la vue imprenable sur cette langue de mer. Parfois, au loin, un bateau de pêche qui sillonne les yeux poissonneuses apparait dans un brouillard fantomatique.
Petit crochet par la Norvège civilisée oblige, nous voilà à Bergen, ancien port hanséatique. On y parle toutes les langues, mais la reconstitution du village d'époque vaut le coup quand même... Ne serait-ce que pour nous rappeler que ce peuple de Vikings fut aussi commerçant et civilisé!
Trop tôt sans doute, il faut repartir. Pourtant, en une semaine, nous avons au moins retenu une chose: la Norvège est bien différente de ses voisins. Vu l'accueil qu'elle nous a réservé, elle n'est plus pour nous un pays nordique comme un autre ! Et tant pis si, disant que nous avons adoré le voyage, les Danois nous en veulent un peu, comme s'ils souffraient d'un complexe d'infériorité à côté de ce grand pays un peu trop fier à leur yeux!